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Research Article

Les sources politiques d’une crise économique. L’hyperinflation au Venezuela

The political sources of an economic crisis. Hyperinflation in Venezuela

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RÉSUMÉ

Depuis 2016, un processus hyperinflationniste s’est mis en évidence au Venezuela. L’objectif de ce texte est d’expliquer le fondement politique de cette crise. Les vicissitudes du bolivar, la monnaie vénézuélienne, sont décrites à partir de séries statistiques et d’une chronologie des événements politiques qui ont permis la reconstitution de deux événements clés : (1) l’établissement d’un contrôle des changes devenu mécanisme de contrôle politique, et (2) l’intervention systématique de l’État pour fragiliser le secteur privé de l’économie. L’analyse des données a mis en évidence l’instrumentalisation partisane du contrôle des changes et le processus d’anéantissement de la propriété privée comme institution, conduit à une explication nonéconomique de l’effondrement de la monnaie vénézuélienne. C’est la perte de la confiance politique qui explique pourquoi personne ne croit plus au système monétaire de ce pays.

ABSTRACT

Since 2016, a hyperinflationary process has been underway in Venezuela. The purpose of this text is to explain the political origins of this crisis. The vicissitudes of the bolivar, Venezuela’s currency, are described using statistical series and a chronology of political events that have enabled the reconstruction of two key events (1) : the establishment of exchange controls that became a mechanism of political control, and (2) the systematic intervention of the state to undermine the private sector of the economy. Analysis of the data revealed the partisan instrumentalization of exchange controls and the process of annihilating private property as an institution lead to a non-economic explanation for the collapse of the Venezuelan currency. It is the loss of political confidence that explains why nobody believes in the country’s monetary system any more.

Déclaration de divulgation

Aucun conflit d’intérêts potentiel n’a été signalé par les auteurs.

Notes

1. Depuis le dernier trimestre de l’année 2016 jusqu’à la fin du troisième trimestre 2018, la population vénézuélienne a souffert d’une pénurie alimentaire et d’un manque des liquidités. Le résultat a été une forte vague migratoire vers les pays voisins, notamment la Colombie et le Brésil. Les manifestations, le pillage des commerces et la répression policière ont été à l’ordre du jour. Durant cette période-là les ministres de l’économie étaient Ramón Augusto Lobo Moreno (ensuite nommé président de la Banque Centrale du Venezuela, BCV), Rodolfo Medina del Río et Simón Zerpa Delgado ; les Présidents de la BCV étaient Ricardo Sanguino, Ramón Lobo et Calixto Ortega Sánchez ; et le Ministre de Défense était le General Vladimir Padrino López

2. Dans les villes, n’ayant pas la possibilité de justifier la source de ses revenus, cette population n’a pas le droit d’ouvrir un compte bancaire. A la campagne les services bancaires sont inexistants. Au Venezuela ce sont, au moins, 28 % de la population active qui ont un emploi dans le secteur informel en 2013 (Terán Citation2018, 4).

3. Selon l’abréviation coranto « Bs. » et selon la norme ISO 4217 « VEB ». Cette norme définit les codes pour la représentation des devises utilisées dans le monde. Avec les trois changements de devises intervenus au Venezuela en 2007, en 2018 et ensuite en 2021 le bolivar est devenu « bolívar Fuerte » nommé BsF et codé VEF ; puis « bolívar Soberano » nommé BsS et codé VES ; ensuite « bolívar Digital » nommé BsD et codé VED. Cependant, quelques mois après chaque changement de monnaie, la population continue à nommer la monnaie, simplement, « bolívar ».

4. Le Venezuela a vécu trois moments de hauts revenus pétroliers : de 1948 à 1957, de 1974 à 1985 et de 2005 à 2012. Le deuxième boom pétrolier peut se diviser en deux moments, de 1974 à 1978, quand le pays a été appelé le Venezuela saoudien pour ses énormes revenus et ses dépenses publiques ; et de 1979 à 1985 quand, à cause d’un énorme endettement public, la dévaluation de la monnaie et la fuite de capitaux ont été à l’ordre du jour. Le troisième boom (2005–2012) a été suivi par la première crise hyperinflationniste au Venezuela.

5. Le 12 mars 1979, jour de son investiture comme Président de la République, Herrera Campins avait déclaré : « C’est à mon tour de recevoir une économie caractérisée par de grands déséquilibres structurels et des pressions inflationnistes spéculatives, qui ont érodé le pouvoir d’achat des classes moyennes et des innombrables centers marginaux du pays. Je reçois un Venezuela hypothéqué » (De La Calle Citation1979).

6. Entre les années 1999 et 2007 un intense conflit s’installe dans la dynamique politique nationale. Il s’agit, fondamentalement, d’un processus d’incorporation de nouveaux groupes au pouvoir politique qui aura comme résultat le remplacement de l’élite politico-administrative du pays (Zambrano Citation2022b).

7. Depuis 2003, l’organization du contrôle des changes a été l’objet de successives modifications. De 2003 à 2014 a fonctionné la Comisión Nacional de Administración de Divisas (CADIVI) ; de 2014 à 2016 le Centro Nacional de Comercio Exterior (CENCOEX). Jusqu’en 2016 il s’agit de deux organizations avec une autonomie relative, sous la tutelle du Ministère de Finances. À partir de 2016, la Banque Centrale reprend le contrôle direct et met en place plusieurs systèmes pour l’accès aux devises, en gardant encore un taux de change moins cher (Tipo de Cambio Protegido, DIPRO) et un taux de change plus cher (Tipo de Cambio Complementario, DICOM). À partir de 2019, la Banque Centrale propose un seul taux de change définie par une mobilité des capitaux (demande et disponibilité de devises) avec intervention de l’État. L’accès aux devises est encore restreint, mais le contrôle des changes, tel comme il a été connu depuis 2003, est arrivé à sa fin.

8. Cela veut dire, en 2003, 1 dollar au marché parallèle coûtait 1,2 dollar officiels (1.900/1.600 = 1,2) ; en 2007, 1 dollar au marché parallèle coûtait 2,3 dollar officiels (5.000/2.150 = 2,3). Donc, le dollar officiel devient un bien très apprécié, à partir duquel on peut obtenir un profit pas négligeable.

9. Il s’agit d’Aristóbulo Istúriz (Panampost Citation2016). Regarder la video sur : https://youtu.be/I2Xc3HrxLtA.

10. Sur la particularité du conflit entre le gouvernement et les médias lire : Zambrano (Citation2021 et Citation2023).

11. En 2016 l’ex-Ministre d’Economie, Jorge Giordani, affirme qu’au moins 300.000 millions de dollars ont été l’objet de malversation à cause du système de contrôle des changes. Lire : https://www.reuters.com/article/politica-venezuela-corrupcion-idLTAKCN0VB1SO (Reuters Citation2016. Consulté en août 2023).

12. L’utilization du Service national d’administration fiscale intégrée (SENIAT en espagnol) comme instrument partisan est documentée dans les Rapports de l’Organization Internationale du Travail (OIT). L’année 2007, l’Organization internationale des employeurs (OIE) demande une médiation de l’OIT parce que le SENIAT « suscite la panique dans les entreprises privées par son action punitive et interventionniste, notamment en menaçant l’imposition d’amendes exorbitantes, la fermeture intempestive d’entreprises ou la réalisation d’inspections fiscales dans les entreprises dont les dirigeants ont fait des déclarations contre la politique gouvernementale » (Organisation Internationale du Travail Citation2007, 1265).

13. L’Institut national de défense et d’éducation du consommateur et de l’usager (INDECU par ses sigles en espagnol), à partir de 2010 nommé comme l’Institut pour la défense des personnes dans l’accès aux biens et services (INDEPABIS en espagnol) et en 2015 renommé Surintendance nationale des droits socio-économiques (SUNDDE en espagnol) a eu un rôle capital dans ce processus.

14. Compañía Anónima Nacional de Teléfonos de Venezuela (CANTV), Telecomunicaciones Movilnet C.A., Electricidad de Caracas C.A., Seneca, Compañía Anónima Luz y Fuerza Eléctrica de Puerto Cabello.

15. Pour comprendre le régime légale de l’utilité publique au Venezuela, lire : Brewer-Carías (Citation2015).

16. L’expropriation des chaînes de supermarchés Exito, du groupe colombien Exito et français Cativen, et les supermarchés CADA, du groupe français Casino, est un exemple. Tous les deux ont été expropriés en 2010 et remplacés par les supermarchés « Abastos bicentenario » gérés par l’Etat. Voir les vidéos : https://youtu.be/8-oeNdkPVag et https://youtu.be/8po90nJi6Hg.

17. Il s’agit de deux listes élaborées avec prétention d’exhaustivité. Celle de propriétés privées confisquées, établie par l’auteur à partir de la presse et le Journal Officiel vénézuélien ; et celle des entreprises créées par l’État à partir d’une base de données de l’organisation non gouvernamentale Vendata (Citation2020) https://vendata.org/. Le , avec les données de la , se trouve à l’Annexe 2. La liste de propriétés privées confisquées élaborée par l’auteur est disponible sur https://venezuelaes.hypotheses.org/politica.

18. Depuis 2014 une pénurie généralisée (aliments, médicaments, gaz domestique, électricité, etc.), est survenue au Venezuela, déclenchant une émigration massive de la population vers les pays voisins ; notamment la Colombie et le Brésil (Rousset and Garcia Citation2020).

19. Les sociétés étrangères peuvent demander justice ailleurs. Ainsi, malgré cette proportion, dans ce cas l’expropriation sans indemnité aura de lourdes conséquences. Entres les années 2000 et 2019, le Center international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) enregistre 48 affaires contre le Venezuela. Les plus remarquables : les pétrolières américaines Exxon-Mobil et Conoco-Phillips (affaires ARB/07/27 et ARB/07/30), et la Société canadienne d’extraction d’or Crystallex (affaire ARB(AF)/11/2). En 2019, l’État vénézuélien devait encore régler 11.700 millions de dollars en total à ces trois sociétés, en restant encore plusieurs affaires en cours (CIRDI Citation2020). Selon la Banque Centrale du Venezuela, en décembre 2019 les réserves internationales du pays étaient 7.500 millions dollars.

20. Sur l’importance des militaires dans le gouvernement vénézuélien, lire : Zambrano (Citation2022a).

21. On ne peut pas oublier que l’économie rentier de l’Etat vénézuélien, liée à l’industrie pétrolière, fait une pression historique sur l’inflation. Parce que les élites politiques ont toujours utilisés la rente pour dynamiser l’économie, en mettant en circulation une quantité croissante de liquidité sans corrélation avec une augmentation de la production nationale non-pétrolière, que ce soit comme phénomène économique (stimuler la consommation) ou comme phénomène politique pour alimenter la dépense publique. Par contre, cette condition ne s’avait jamais traduit en hyperinflation.

22. Il n’est pas anodin que Jorge Giordani, professeur d’université vénézuélien, ait publié en 2009 le livre « la transition vénézuélienne vers le socialisme ». Dans ce texte, où il explique l’importance du parti politique unique et révolutionnaire comme instrument fondamental pour conduire et faciliter la transformation sociale, l’intervention de l’État dans l’économie privée pour le développement des forces productives socialistes et la réforme de la Constitution pour accélérer le processus de transformation au Venezuela (Giordani Citation2009). Giordani a été trois fois ministre de la Planification et du Développement Économique, de 1999 à 2002, de 2003 à 2008 et de 2009 à 2014.

23. La confiance en la monnaie peut exister seulement si elle fait système. Cette confiance est une convention et elle doit exprimer l’appartenance commune sous l’égide de l’État. Cela veut dire, c’est le résultat d’un processus d’institutionnalisation d’un système de confiance qui se présente sous formes hiérarchisées (Aglietta Citation2016, 72, 83–85 et 93 ; Aglietta et Orlean Citation1998, 25–29).

24. De 2018 à 2019 la production pétrolière du pays avait baissé de 1.354.000 à 796.000 barils par jour (OPEC Citation2020, 50). On ne rentrera pas dans le détail de l’effondrement de l’industrie pétrolière nationale, non plus dans la dette extérieure publique qu’à fait rentrer le pays en défaut. Évidemment, ils sont deux aspects importants pour comprendre la crise structurelle au Venezuela.

Additional information

Funding

This work was supported by the Laboratoire d’excellence Transformation de l’État, politisation des sociétés, institution du social (LabEx TEPSIS) [1].

Notes on contributors

Andrés Zambrano

Durant une dizaine d’années, Andrés Zambrano s’est consacré aux études sur les conditions de vie, principalement de la population urbaine du Venezuela. Depuis 2015, il a tourné ses intérêts vers les conflits politiques et la démocratie en s’intéressant, plus particulièrement, pour les élites gouvernementales et la dérive autoritaire du régime politique vénézuélien.

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