RÉSUMÉ
La tétralogie « judiciaire » réalisée entre 1950 et 1955 par André Cayatte a apporté au réalisateur une notoriété paradoxale : reconnue par la presse et le public, la plupart des histoires du cinéma déconsidèrent néanmoins l’œuvre d’André Cayatte, souvent vue comme un exemple des défauts de la « qualité française » de l’après-guerre. En fait, son œuvre a sans doute souffert du mauvais accueil critique d’André Bazin et de François Truffaut, qui ont contribué à sa réputation réductrice de « cinéaste-avocat ». Cette étude cherche à concilier ce regard négatif et une analyse féconde de ce cycle judiciaire, en partant de ce prisme négatif pour examiner d’une part le discours critique de Truffaut et de Bazin et d’autre part ce que ce discours révèle des caractéristiques intrinsèques de l’œuvre de Cayatte. L’article montre alors que ce corpus, en créant une forte emprise sur le spectateur, se heurte aux conceptions artistiques personnelles de Bazin et de Truffaut, dont le regard négatif a considérablement nui à un cinéma engagé dans des sujets sociaux.
ABSTRACT
The ‘judicial’ tetralogy produced by André Cayatte between 1950 and 1955 earned the film director a paradoxical notoriety: while he was esteemed both critically and by audiences, most histories of cinema nonetheless discredit Cayatte’s work, often considered as an illustration of the shortcomings of the post-war ‘Tradition of Quality’. In fact, his work arguably suffered from its poor critical reception by André Bazin and François Truffaut, both of whom contributed to his reductive reputation as a ‘lawyer-filmmaker’. This study aims at reconciling this negative outlook with a fruitful analysis of Cayatte’s judicial cycle of films, starting from its negative reputation, then examining, on the one hand, Truffaut’s and Bazin’s critical discourses and, on the other hand, what these discourses indicate about the intrinsic specificities of Cayatte’s work. It then demonstrates that this corpus, by establishing a strong grip on the spectator, collides with Bazin’s and Truffaut’s personal conceptions of art, their negative point of view doing significant harm to a type of cinema involved in social issues.
Disclosure statement
No potential conflict of interest was reported by the author(s).
Notes
1. Sur l’importance de Charles Spaak comme scénariste, cf. le chapitre que lui ont consacré Leahy et Vanderschelden (Citation2021, 28–61).
2. L’affaire Seznec est un célèbre fait divers criminel et juridique de l’entre-deux-guerres : Guillaume Seznec a été déclaré coupable en 1924 du meurtre d’un riche notable breton, Pierre Quéméneur, alors que le corps de ce dernier n’a jamais été retrouvé et que le condamné clamera toujours son innocence. La condamnation se base donc sur des présomptions de culpabilité et des témoignages parfois contradictoires. Le jugement fera l’objet de neuf demandes de révision de 1926 à 2001de la part de la famille de Seznec et de ses descendants, en vain.
3. ‘It is also true that too evident a social commitment was incompatible with the myth of the transcendent artist’ (notre traduction).
4. ‘The specifically legal aspect of these films, however, would seem to call for a correlation with the lawyer-director Cayatte, making him an authentic “auteur”’ (notre traduction).
5. Cf. le compte-rendu de l’affaire dans le numéro 48 de Paris Match du 18 février 1950. https://www.parismatch.com/Actu/Faits-divers/Josette-Orfaure-meurtre-1949-Gang-J3-proces-photos-1674415, dernière consultation le 23 juin 2022.
6. Qu’on pense à l’hommage qu’il rend à l’écrivain français dans Les Quatre cents coups.
7. Sous le pseudonyme de Louis Chabert, Truffaut continuera à détruire la valeur de Cayatte lors de la sortie du film Œil pour œil à travers une longue critique polémique publiée dans le n°636 du 18–24 septembre 1957 de la revue Arts (Truffaut Citation1957, 395–399).
Additional information
Notes on contributors
Jean Montarnal
Jean Montarnal est agrégé de Lettres Modernes, docteur en études cinématographiques et audiovisuelles de l’université Paris-Diderot/Paris VII. Il est l’auteur d’un livre intitulé La « Qualité française », un mythe critique ? consacré au cinéma français de l’après-guerre. Il est ancien chargé de cours à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne (Centre Saint-Charles) et à l’université Paris VII-Paris Diderot (actuel Université Paris Cité).